Le 22 juin dernier la maison Sotheby’s adjugeait, à Londres, pour la modique somme de 800 000 € une superbe aquarelle et encre sur papier de Wassily Kandinsky (1866 – 1944) intitulée en germain dans le texte : « An Die See Und An Die Sonne » (Vers La Mer Et Le Soleil). Si les œuvres du peintre russe sont réputées dans le monde entier au point d’atteindre des prix astronomiques, le sens de ses tableaux reste lui, souvent obscur. Que nous dit l’artiste et comment ? C’est parti !
Dans l’esprit de Wassily Kandinsky l’art ne peut atteindre son plus haut niveau que s’il réfute toute valeur esthétique et toute dépendance vis-à-vis des formes au profit d’une intériorité pure. Se replaçant dans le courant primitiviste (un courant artistique qui privilégie les formes simples et naïves) en vogue depuis la fin du XIXe siècle, l’artiste entend ainsi rendre à la spiritualité sa place primordiale dans le processus de création artistique. C’est sur ce postulat moderne que naît l’art abstrait au début du XXe siècle.
Si Kandinsky n’est pas le seul artiste précurseur du genre, il en devient le plus éminent représentant grâce à la parution de son essai majeur en 1910 : « Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier ». Un texte fondateur à l’origine de la carrière de l’artiste qui nous livre les clefs de compréhension de son œuvre et jette les bases théoriques du courant abstrait.
❞l’artiste n’est pas un appareil photo❞
Sa démarche artistique est une constante recherche sur les interactions de la couleur et des formes, et sur les effets que celles-ci produisent sur notre cerveau. Kandinsky parle de « vibration de l’âme ». Ce langage combinant ainsi formes géométriques élémentaires et couleurs expressives provoque en nous des sensations inconscientes qui pour lui sont plus importantes que l’apparence réelle et figurative. Il affirme que l’artiste n’est pas un appareil photo, il ne doit pas se contenter de reproduire la réalité avec fidélité « car le fait d’appauvrir l’apparence extérieure, amène à un enrichissement intérieur ».
Réalisée en 1922 à son arrivée en Allemagne, où il intègre en tant qu’enseignant la prestigieuse école du Bauhaus (1922 – 1933), l’aquarelle dont il est question ici est représentative de production des années 1920 et dénote de l’influence du constructivisme russe : peinture plus géométrique dominée par les triangles, cercles et lignes droites en lieu et place des formes indéfinies.
Observez bien l’œuvre. On sait que celle-ci fut réalisée par Kandinsky au retour de ses vacances estivales. Sous des allures à priori abstraites, elle révèle pourtant plusieurs éléments figuratifs. Par exemple un voilier au mât jaune situé au centre de la composition semble naviguer en plein milieu d’un port délimité par la forme bleue et dont les édifices maritimes seraient représentés en noir sur les côtés. L’agencement arbitraire des formes et des couleurs n’est qu’une apparence ici : « créer une œuvre, c’est créer un monde ». Ce monde, pour Kandinsky, répond toujours à une logique interne.
Les formes géométriques qui jaillissent autour du bateau alternent de l’aigu à l’arrondi, du trait fin au trait épais, d’une forme horizontale à une forme ascensionnelle, du proche au lointain. Certaines figures telles que les cercles de couleur à gauche sont en suspension dans l’air tandis que les lignes en bas à gauche sont reliées au point focal (le bateau) et donc au centre du tableau. Les lignes peuvent indiquer la tension ou la direction de même que les couleurs primaires passent du chaud au froid. Les cinq lignes courbes à droite (rouge, bleue et noire) indiquent une volonté d’« expansion » de la peinture comme s’il s’agissait d’un organisme vivant qui tenterait de repousser ses propres limites. Cet effet est souligné par les deux traits noirs « directionnels » qui les surplombent. Enfin, Kandinsky, d’après des études scientifiques menées avec ses étudiants, associe des formes à des couleurs précises. La forme du cercle s’accorderait parfaitement à la couleur bleue, le triangle au jaune (la voile) et le carré au rouge. Les tonalités froides incarnent dans ses peintures la stabilité et l’immobilité tandis que les couleurs chaudes (le jaune et rouge du voilier) sont liées à la sensation de mouvement.
Les éléments qui composent le tableau se répondent ainsi dans un jeu d’opposition et de complémentarité savant qui relèvent même de l’expérience synesthésiques (association d’une couleur et d’un son) ! La notion d’équilibre est essentielle pour comprendre cette aquarelle et de manière plus générale l’œuvre de Wassily Kandinsky.
Cette œuvre vous a plu ? Alors, n’hésitez pas à vous rendre au centre Georges Pompidou pour en savoir plus ! De nombreuses peintures du chef de file du mouvement abstrait y sont en effet conservées, dont la célèbre « Jaune-Rouge-Bleu » que les plus grands musées du monde nous envient ! Faites comme Kandinsky, profitez de vos vacances !
Alexis Ozouf
Vous avez aimé cet article ? La rédaction vous conseille :
L’estimation d’une oeuvre d’art
Conversation entre un passionné d’art classique et Eklektike !