Rappeur volubile, la plume bien affutée, permute, échange, combine, phrases, mots, syllabes et sons. Aussi à l’aise qu’un funambule sur un fil, il jongle avec le verbe et trouve l’équilibre. Ses rimes résonnent et s’entrechoquent sur un flow époux de son beat. Cet acrobate verbal peaufine ses armes sur le canap’ d’Oster Lapwass puis co-fonde le collectif de rappeurs Lyonnais l’Animalerie. De vidéo en vidéo son public s’accroît. En 2015 « ce peintre sans tableau » sort un album au titre malicieux : « Je vous salis ma rue ». Discussion avec Kacem Wapalek.
Cette interview a été réalisée en 2016.
Eklektike : D’ou viens-tu ?
Kacem : « Je suis Lyonnais mais pas Lyonniste », je ne revendique pas mon code postal. L’humanité ne s’arrête pas au village d’en face. J’essaye d’être le plus fédérateur possible. J’habite à Paris maintenant car je compose ici et que tout est là, mon distributeur, mes partenaires.
Eklektike : C’est notamment grâce à toi que l’animalerie à vu le jour. Appartiens-tu toujours au collectif ?
Kacem : J’ai quitté l’Animalerie mais l’effet est pérenne. On découvre des artistes en regardant mes vidéos et inversement on me découvre en visionnant des vidéos des rappeurs du collectif. Le bien est fait.
Les rappeurs défilent dans le salon du beatmaker Oster Lapwass, venus poser leur texte sur ces beats, caméras embarquées. Et c’est après la sortie de nombreuses vidéos artisanales qu’en 2010, l’Animalerie se dessine. Le collectif Lyonnais, rassemble en son sein un vivier d’artistes talentueux, unis par leur goût du travail de l’écriture. L’Animalerie se veut être à contre courant, à la marge de la culture rap mainstream. Des noms en émergent, Kacem Wapalek, Lucio Bukowski, Anton Serra, Missak,…
Eklektike : Comment as-tu commencé à rapper ?
Kacem : En rencontrant des musiciens, des rappeurs, je m’y suis essayé et rendu compte que j’y arrivais et que ça me plaisait. Par la suite, j’ai fait la connaissance d’un groupe de Jazz. On a jamé ensemble et me suis adapté à leur quadrillage. J’ai continué d’apprendre à écrire avec une certaine musicalité. Le rap, c’est large. Rapper, c’est pas forcement hacher son texte, de manière rythmique ou percussive. Bashung ou Gainsbourg par exemple, c’est quasiment du rap. Ils scandent et sont proches du parlé, si ils chantonnaient plus ça serait une mélodie et un peu moins ça serait du rap. Le rap c’est une affaire de perception. Le silence c’est une note, ça s’écrit sur une partition.
Digression sur le rap, l’écriture…
Kacem : On est dans une époque où il n’y a plus rien à analyser, le travail est pré-maché, on nous livre des informations immédiatement compréhensibles. Heureusement qu’il y a des tableaux qu’on doit regarder pour comprendre. Heureusement qu’il existe des livres, des films qu’on doit lire ou regarder plusieurs fois. Si tu percutes l’intégralité du texte à la première écoute, il perd son d’intérêt. Tu n’obtiens plus rien à la deuxième écoute et encore moins à la troisième. C’est plus difficile d’expliquer en 25 mots une idée, un concept qu’en 250. Je crois en le pouvoir d’évocation, suggérer immensément avec peu de mots. La peinture, c’est en un trait, dire tout, sans le dire. Il n’y a plus de mot. En art, c’est très compliqué de faire simple. Picasso, était doué pour ça. Le rap c’est comme une partie d’échecs, il y a des milliers de combinaisons.
Eklektike : Pourquoi le rap ?
Kacem : Le rap, c’est le choix du non choix. Si je veux rapper sur de la salsa ou du classique je peux. J’ai commencé a rapper avec des jazzmens au sein du groupe Kacem Experience. Je crée un mouvement, je suis pas là pour en suivre un. La musique c’est pas dans du formol. Je veux pas me cantonner à des règles prédéfinies.
❞Assume toi, dis mon rap, ma vision, ma définition❞
Eklektike : Tu écris sous « contrainte », en quoi sa consiste ?
Kacem : Il ne faut pas arriver sur une toile comme un forcené, c’est pareil avec l’écriture. Tu te jettes pas sur ton tableau, tu sais ce que tu veux peindre. C’est comme un cahier des charges. Tu pars d’une envie spontanée d’écrire mais sans te laisser embarquer par ton stylo. La contrainte, tout le monde la pratique. Quand tu te dis « je veux écrire des rimes », tu t’en imposes déjà une, il faut simplement en prendre conscience. Tu sais ce que tu cherches. Un thème, c’est une contrainte, ça te donne un champ lexical. Quand à l’école on demande de disserter sur tes vacances, aucun élève ne rend feuille blanche. Ca te stimule. Il faut s’inventer ses règles, son angle. Avec mes textes, je ne veux pas donner envie de lire, je veux donner envie d’écrire !
❞J’ai calé mes lettres au millimètre ❞
Eklektike : Te méfies-tu des mots, de l’effet qu’ils peuvent produire ?
Kacem : J’ai toujours aimé les mots, le code pénal c’est des mots, la déclaration de guerre de 1939, tout est mot. C’est ni bon ni mauvais, tu peux sauver des vies avec des mots. C’est comme une arme. Je me méfie de ceux qui les emploient. Quand il y a un meurtre, tu ne mets pas le pistolet en prison. On utilise des synonymes mais chaque mot est différent, aucun n’a le même sens, tous possèdent leur nuance.
Eklektike : Tes textes sont riches en figures de style, tu les utilises consciemment ?
Kacem : Certaines oui, d’autres me viennent en écrivant. C’est un choix permanent. A chaque syllabe, tu as mille options possibles mais tout n’est pas un bon coup, comme aux échecs. Une allitération par exemple ça permet de bloquer dessus et d’interpeller mais il y a plusieurs degrés de lecture, sous cette figure de style peut se cacher une métaphore. Le principal pour moi, c’est de garder à l’esprit le message que je veux passer.
❞Dans ce texte, il y a des chiffres et des lettres
Et chacun d’eux est né pour ceux qui rêvent de déchiffrer des lettres❞
Eklektike : Qu’écoutes-tu comme musique ?
Kacem : Très peu de rap, j’écoute de tout. Je lis de tout. Je suis pas mono-maniaque, j’ai pas d’artistes préférés.
Poète, rappeur, slameur, Kacem Wapalek, ce génie des mots gravite maintenant en solo et tourne dans toute la France. Découvrez plus de sons sur sa chaîne Youtube et Bandcamp ou retrouvez le sur Facebook.
Clara