Parole de soignant(e) #covid

Nous avons décidé de donner la parole à Alix*, infirmière dans un hôpital public, d’une grande ville du sud de la France. 

Diplômée depuis quelques années, passionnée par son métier, investie et fière représentante de sa corporation, Alix a eu l’occasion d’exercer son métier dans différentes structures : cliniques, hôpitaux public, à domicile,… 

Fidèle au poste, depuis le début de la pandémie, elle navigue entre plusieurs unités dont certaines dédiées au COVID 19, elle a accepté notre invitation à témoigner.

Elle nous prévient : son témoignage n’engage qu’elle, mais surtout nous rappelle que les situations sont disparates d’une région à l’autre et d’une structure à l’autre. 

Comment as-tu vécu le début de la crise ? 

On nous a parlé du Coronavirus début Janvier, en nous disant que c’était une grosse grippe saisonnière et qu’il n’y avait pas d’inquiétude à avoir. Notre pays n’était pas particulièrement touché, donc il n’y avait pas de précautions particulières à prendre. 

A partir du mois de février, tout s’est accéléré, en Alsace notamment, et en une semaine top chrono, on est passés de « y’a rien du tout » à « maintenant, il faut prendre des précautions ».

Nous avons reçu des informations contradictoires sur la manière dont se propage le virus, et les mesures de protection évoluaient en fonction de notre stock de matériel. Quand on avait des masques FFP2, nous étions en précaution « air », quand il n’y en avait plus, nous étions en précaution « contact ».

Un jour on nous disait que le virus était manuporté, le lendemain, il se propageait pas les gouttelettes. Il fallait donc parfois porter, un masque, puis des gants, puis plus besoin de masque… 

L’Etat déclarait qu’il nous livrerait des masques mais ça ne venait pas, puis il y a eu plusieurs polémiques avec notamment la distribution de matériel périmé.

On est maintenant début mai, est-ce que vous êtes dotés du matériel nécessaire ?

A l’hôpital, on a tardivement débloqué les stocks de secours. Les urgences, les services de réanimation, et l’unité Covid sont prioritaires sur les stocks de masques FFP2. Dans d’autres services, ils n’ont rien, ni charlotte, ni blouse. Pourtant ils gèrent aussi des cas Covid et risquent la manuportation du virus de chambre en chambre.

Comment vis-tu la situation ? 

Au départ, j’étais hyper flippée. On avait beaucoup de jeunes, 20, 30, 40, 50 ans, c’était inquiétant. D’un point de vue personnel, je ne peux voir personne. Je n’ai pas vu ma famille depuis deux mois. C’est lourd. Je ne peux même pas apporter les courses à ma grand mère.

Heureusement j’ai des amis au boulot. C’est un job qui nécessite toute l’année d’être entourée de ses amis, sa famille mais dans les circonstances actuelles, avec tous ces décès et aberrations, j’en ai encore plus besoin. 

De quelles aberrations parles-tu ? 

De couacs de prises en charge par exemple. Tu ne peux finalement pas opérer quelqu’un, faute de personnel, ou admettre un patient faute de lits. D’habitude on a deux couacs hebdomadaires. Actuellement, c’est plutôt une dizaine par semaine. Toute l’année tu fais des choix. Tu n’as pas autant de lits que de patients, tu finis par dire, désolée mais ce patient là, on ne peut pas le soigner.

Les jeunes dont tu parlais, ont-ils réellement d’autres pathologie ?

Ils ont parfois plusieurs maladies mais cela ne veut pas dire qu’ils allaient en mourir. Ils pouvaient avoir du diabète, ou une maladie chronique comme une pathologie cardiaque. Le risque de décompenser est plus important avec une comorbidité. Il y a aussi des gens qui étaient en très bonne santé mais qui ont développé une hyper-réaction au virus.

Que ressent le personnel soignant selon toi ?

On est très en colère. Comme toute l’année. Ça fait 10 ans qu’on n’a pas les moyens de soigner nos patients, correctement mais c’est la première fois qu’on s’est retrouvés nous, personnel soignant, en danger, par faute de matériel de protection basique. 

Cette insécurité rend l’atmosphère explosive, et nous ne sommes pas une des régions les plus touchées. J’e n’ose pas imaginer l’ambiance en Alsace ou en Île de France.  

La petite lueur d’espoir c’est que le personnel soignant est très solidaire, la cohésion de groupe s’est intensifiée.

On reçoit plein de dessins d’enfants, plein de bouffe, chaque jour de tous les restaurants de la ville. Ça fait super plaisir. On est quand même dans une colère noire. Les pouvoirs publics contrairement aux citoyens ne se mobilisent pas pour nous fournir les ressources nécessaires à l’exercice de nos fonctions.

A quoi ressemblent tes journées ? 

Je suis itinérante et je change régulièrement de service pour filer un coup de main. Une bonne partie du staff est confinée dans les services en première ligne.

Parfois je sais la veille pour le lendemain ou je suis assignée. 

Le week-end, je fais comme tout le monde, je traine en pyj, j’écoute des podcasts, je fais du sport et des bananas breads mais je garde mon téléphone à proximité car on peut m’appeler et me demander de venir travailler le lendemain. En ce moment, la direction aime bien le 6 jours/7, surtout depuis la loi travail qui permet de te faire bosser 60h par semaine. Avant tu faisais une fleur de venir bosser en heure supplémentaire ou en revenant sur tes repos, mais maintenant ils ne manquent pas de te rappeler que la loi est de leur côté. 

Tu es jeune, mais comment tu vis ce rythme physiquement ?

Je suis éclatée. 

Un jour tu te lèves à 4h30 du matin, le lendemain, on décale ta journée et tu termines à 22h et tu repars le surlendemain sur un 4h30. 

Comment tu vois la suite et la fin de la crise ? 

En rouvrant les écoles le 11 mai, on va avoir d’autres vagues, c’est sûr. 

Le 11 mai c’est trop tôt pour certaines régions. Tu ne peux pas ré-ouvrir des écoles avec tous les flux que ça engendre. On sait en plus que potentiellement les enfants sont touchés. On les accueille à l’hôpital en ce moment. 

Actuellement, on n’arrive pas à savoir si les personnes atteintes acquièrent une immunité à long terme. Il n’y a pas de médicaments, il n’y a pas de vaccins. Il faut appliquer les principes de précautions et rester confinés. L’économie doit repartir mais entre perdre son job et mourir, il faut prioriser la vie.

Je ne vois pas comment on peut envisager un déconfinement en présence d’un virus pour lequel il y a autant de doutes. Selon une étude chinoise sur la question de l’immunité des patients, « guéris du COVID » et à nouveau testés positif après hospitalisation, tu pourrais chopper le corona, et le réactiver comme de l’herpès..

Selon toi, les enfants sont-ils un vecteur de contamination du virus ? 

Tout individu, vivant, qui respire, se balade avec des jambes, est potentiellement vecteur. Je suis pour un principe de précaution. 

Le port du masque, utile ou pas ?

Il a toujours été utile c’est juste qu’au début de la crise, on n’en avait pas. Les consignes sanitaires sont indexées sur les stocks.

Vous utilisez la chloroquine, tu en penses quoi ?

Ce médicament on le connait, il est plus vieux que le professeur Raoult. (Rire)

On est privilégiés. Ce traitement devrait être utilisé partout. 

On s’est aperçus en testant cette bi thérapie, le Plaquenil et le Zithromax, que les patients décompensaient peu ou pas. Tu as des patients à qui tu évites la case réanimation et tu leur permets même le retour à domicile. Chez nous, seuls quelques patients atteints de troubles cardiaques ne peuvent pas bénéficier du traitement. Sur 3 étages de 70 patients, 6 ne le prennent pas. Bien sûr, ça fonctionne sur les patients COVID qui ne sont pas à l’article de la mort. 

Il ne guérit pas, c’est un traitement symptomatique. Quand tu as de l’arthrose, on te donne des anti-douleurs, des corticoïdes pour que tu puisses vivre correctement pour atténuer les symptômes. C’est un peu pareil avec la chloroquine.

Les symptômes de la maladie disparaissent. Le corps est moins fatigué. Tu n’es plus mal physiquement. Et ce médicament ne coûte rien.

Au pire, ça fonctionne !

Penses-tu que la crise aurait pu être mieux gérée ? 

Humainement et éthiquement oui. Ce gouvernement pourrait concéder que la politique d’austérité menée depuis des années était une erreur, même s’il paye les pots cassés de politiques antérieures. Il pourrait accepter que le Plaquenil et le Zithromax soient délivrés par les pharmaciens, ce qui n’est plus le cas depuis le début de la crise. Il pourrait autoriser les médecins généralistes à le prescrire alors qu’il était en vente libre.

Quand un hôpital est surchargé, il doit trier ses patients, quels sont les critères ? 


Les critères dépendent des régions ou tu te trouves.

En région PACA, grâce aux traitements, les durées d’hospitalisations sont plus courtes donc nos critères de tri sont peu restrictifs contrairement à l’Alsace ou l’Ile de France. 

Nous, c’est un critère de tri de luxe : 

  • Si tu es positif et asymptomatique, tu rentres en quarantaine chez toi. On te testera à la fin de la période de 14 jours préconisés.
  • Si tu as des signes cliniques peu alarmants genre de la toux, et que tu es négatif, on te renverra chez toi (14 jours de confinement avec dépistage répété) mais si ton état se dégrade, on t’hospitalise. 
  • Dans tous les autres cas symptomatiques du virus avec facteurs aggravants ou à risque (pathologies cardiaques, respiratoires,…), que le test soit positif ou négatif, on va t’hospitaliser direct. 

C’est un tri qui permet de protéger la population.

Si tu demandes au personnel Alsaciens, il te dira qu’il doit choisir quels patients envoyer en réa. Et dans le cas où tu ne les y admets pas, tu les accompagnes dans la fin de vie. 

Des gens meurent car il n’y a pas de place. 

Pourquoi c’est efficace de tester ?

Tu choppes les gens dès le départ, ça permet d’anticiper et de s’organiser. On va pouvoir estimer combien de lits il faudra et limiter les tensions. Grace aux statistiques, on a pu réquisitionner des étages entiers afin de mieux répondre aux besoins. Les gens sont testés et éloignés, donc ils contaminent moins les autres.  

Quel est l’impact de réquisitionner un service ? 

Les unités COVID sont des services divers qui ont du stopper leur acitivité pour prendre en charge ces patients atteints du virus. Par exemple l’unité cardio, s’est transformée en unité COVID en vu du déconfinement le 11 mai. Le gouvernement nous demande de renvoyer des patients à la maison pour faire baisser les stats, se préparer à la deuxième vague mais du côté de l’hôpital c’est aussi pour récupérer leur tiroir caisse. Il y a un double enjeu, politique et économique. 

Tu ne peux pas faire d’un hôpital, une entreprise.

Le mot de la fin ?

Tous ensemble, on doit se mobiliser pour rappeler notre droit à bénéficier de soins dignes, et rappeler que la santé est précieuse et ne se marchande pas. 

J’invite tout le monde à se lever pour la santé, mais aussi l’éducation, le travail, les libertés individuelles, les violences policières,… on mérite tous de vivre bien. 

Avant le COVID, on parlait des manques du budget hospitaliers, des violences faites aux femmes, d’urgence climatique. Il faut pas qu’on oublie, car tout est lié et interconnecté. Il ne faudrait pas qu’un débat soit plus important qu’un autre. 

J’espère que ce confinement va mettre en lumière les dysfonctionnement d’un système.

J’aime mon travail, j’en ferai pas un autre mais ce n’est pas incompatible avec avoir l’esprit critique. Même avec cette crise là, je ne voudrais pas faire autre chose que de soigner.

*(pour des raisons d’anonymat, le prénom a été emprunté)

Clara & Bahia

Photo by Wengang Zhai on Unsplash

Relisez également notre journal du confinement

A propos de Clara S. 96 Articles
Créatrice du site Eklektike.com. Explorer, tester, goûter, découvrir, repousser ses limites, courir, sauter, voyager,... Alsacienne d'origine et de coeur, parisienne d'adoption et de coeur,...