Jeudi 26 Mars
R.A.S.
Vendredi 27 Mars
J’ai rendez-vous avec G. , qui a imprimé mon autorisation de déplacement professionnel. J’ai la sensation d’être hors la loi. Se donner RDV à l’extérieur pour échanger des documents est un acte de bravoure. Il faut se coordonner sur l’horaire. Chacun doit imprimer ou rédiger son autorisation dérogatoire de sortie. Enfin, il faut affronter la peur de chopper le virus qui rode en silence, peut-être sur ton digicode, une rampe d’escalier, ou encore la poignée de la porte de ton immeuble.
12h06
Sur la route, je croise C. sur le trottoir d’en face. Attention, je ne parle pas de la C. qui voulait lancer un service de livraison de bouffe en drone vidéo. Je veux parler de C., qui habite à quelques pas de chez moi.
Bref, je marche sur le trottoir de gauche et sur le trottoir de droite, à peu près à ma hauteur, j’aperçois C. qui me fait un signe de la main. Sur son visage, un sourire éclatant. Dans le ciel, un soleil rayonnant.
En temps normal, l’une de nous aurait tenté, au péril de sa vie, de traverser la rue, esquivant voitures, camions, scooters et autres deux roues, pour rejoindre le trottoir de l’autre, se claquer la bise, taper la discute, tenir le pavé… Malgré l’absence de menace motorisée en cette journée de confinement ensoleillée, ce réflexe reptilien a, semble-t-il, disparu de nos comportements. On a tapé la discute. On a tenu le pavé. Chacune sur son trottoir.
12h12
Je retrouve G. Il y a quelques semaines, on se faisait chaleureusement la bise quand on se croisait devant l’école ou au cours d’escrime de nos chevaliers miniature. Aujourd’hui, elle me délivre, d’une main gantée de latex, le sésame, fraîchement imprimé, bonifié de plusieurs autorisations de sortie, qui me permettront de passer sans encombre les contrôles de police quand je retournerai travailler lundi.
12h15
Mes papiers en règle et à la main, je m’apprête à rentrer quand un homme, l’air désespéré, m’interpelle. Il veut savoir où j’ai bien pu trouver une photocopieuse. Sur ce coup là, ayant été assistée d’une bonne étoile pour l’obtention des formulaires, un élan de générosité m’envahit, et je lui offre une de mes autorisations de sortie… Avant de me rappeler qu’elles ont été pré-remplies avec mon nom avant impression.
12h37
Cet ersatz de contact social m’a procuré une grande joie et à la fois une immense tristesse. Comme une sorte de mélancolie, de nostalgie mais au futur. Quelques petites minutes, volées à la pandémie et au confinement. Quelques instants qui te rappellent qu’autour de toi, tes voisins sont toujours là, disponibles pour te rendre service. Que la vie ne s’est pas arrêtée, même si elle s’est faite très (trop ?) discrète ces derniers temps. Quelle impatience de voir arriver l’été, après un printemps passé à hiberner !
14h35
Je sors pour la deuxième fois. Faire quelques courses. Je n’ai pas été une confinée exemplaire aujourd’hui, mais il faut bien se réadapter peu à peu à l’extérieur avant de l’affronter quotidiennement la semaine prochaine, non ?
15h48
On appelle I. pour lui souhaiter un joyeux anniversaire à distance, puisqu’il n’est plus question de prendre un TGV pour se retrouver fêter ça… On célèbre le passage à l’année supérieure à grand renforts de filtres sur Messenger. Rafael est ravi.
17h46
C’est vendredi, tout est permis. Je force Clara à couper son ordi et propose de lancer une deuxième session de sport. On découvre la méthode pilates, et on enchaîne avec une vidéo de yoga. Ecoute la douce voix de la prof qui guide tes mouvements, inspire expire, relâche… Mais toujours en gainant ! C’est kitch à souhait, mais ça fonctionne. J’ai honte d’admettre que je pourrai rapidement devenir accro à ces vidéos.
18h35
Cette gym douce m’a rendue euphorique. C’est l’heure de l’apéro. N. nous propose un visio-blanc manger coco. Mais comme Konbini et ses semblables ont jugé bon de relayer ce bon plan, tout les confinés de la planète essaient de se connecter en même temps, et ça fait planter le site. On se rabat sur Mouloud Achour et Clique à la Maison, où Clément Viktorovitch décortique habilement la rhétorique du gouvernement.
19h18
Préparation de la Pizza Quattro Staggioni avec un enfant qui n’aime ni les champignons ni les artichauts ni la roquette, en temps de Pandémie
- Une pâte à pizza (Herta, toute prête, tu me remercieras)
- Un bocal de sauce tomate (Sacla en fait de très bonnes)
- Billes de Mozzarella
- Jambon cuit tranché très fin à l’italienne
- Coeurs d’artichauts marinés
- Champignons de Paris frais
- Roquette
- Un compas dans l’oeil
- Un savon de Marseille
- La collerette à chien du jour 9
- Une paire de menottes
- Un ou deux grammes de Xanax s’il t’en reste
- Sinon une pinte de Pelforth
- La photo d’une pizza, trouvée sur le net, ou sur un prospectus de livraison.
Gober le Xanax, ou s’enfiler la pinte, et attendre de ressentir une légère sensation de coton dans les jambes. Enfiler la collerette à l’enfant de manière préventive. Se laver les mains, puis lui laver les mains. Menotter l’enfant. Sortir tous les ingrédients et ouvrir tous les bocaux. Se laver les mains. Dérouler la pâte sur la plaque du four. Visualiser mentalement à l’aide du compas la zone interdite aux légumes, à réserver à l’enfant.
Lui faire étaler la sauce tomate (4-5 cuillères à soupe) sur la pâte, le jambon, les billes de mozza. Lui laver les mains entre chaque ingrédient. Lui repasser une menotte, et accrocher la seconde à une poignée de placard, de manière à ce que votre enfant ait la porte du four dans son champ de vision. Sur la zone définie précédemment comme étant celle qui vous sera destinée après cuisson, vous en donner à coeur joie avec les artichauts, les champignons, la roquette, et pourquoi pas quelques olives si le coeur vous en dit. Mettre au four préchauffé à 200°C. Pour le temps de cuisson, dites à votre enfant de vous appeler quand la pizza ressemble à celle de la photo.
Buon Apetito
Episode précédent : Journal de mon confinement #9